RSE : La pub signe un pacte avec l'écologie

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RSE : La pub signe un pacte avec l'écologie

Afin d'améliorer leur RSE, les entreprises devraient considérer le numérique comme un nouveau terrain d'engagement. À moins qu'elles y soient bientôt contraintes?

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S'il est impensable, en 2022, de ne pas évaluer le ROI "business" de ses publicités, calculer l'impact environnemental de ses communications numériques ne fait pas encore partie des "bons gestes" adoptés pour la planète. Mais, les temps changent. "Le secteur se réveille depuis deux ans et nous vivons, enfin, un momentum sur la mesure de l'impact écologique, social et sociétal du marketing", se réjouit Assaël Adary, cofondateur du cabinet de conseils et d'études indépendant, Occurrence. L'auteur de Communication et Marketing responsables (Dunod, 2022), regrette les dix années perdues par le secteur, lui qui avoue s'être pris de passion, dès 2010, pour la norme internationale ISO 26000, dédiée à la responsabilité sociétale des organisations. En 2012, Assaël Adary participe d'ailleurs à ce que la norme qu'il qualifie de "122 pages très poétiques", se décline en un guide d'application sectoriel spécifique aux métiers de la communication.

Alors, pourquoi les calculettes carbone, et autres outils de mesure de l'impact des campagnes, n'émergent que maintenant ? Il aura fallu attendre la combinaison de plusieurs facteurs "exogènes et endogènes", comme l'explique Assaël Adary. Outre une culture data et du "bon vieux tableur Excel", pas toujours bien partagés dans le secteur de la communication, c'est "la pression exercée par la société et par les jeunes talents en interne, combinée à la pression du législateur" qui ont fait basculer, cette année, la mesure de l'impact carbone du numérique tout en haut de la to do list des professionnels de la publicité.

Ainsi, alors que ces derniers n'hésitent pas à faire de la pub le bras armé de la transition environnementale, le rapport Bousquet - Leroy, remis à la suite de la Convention Citoyenne en juin dernier, évoquait la mise en place de "contrats climat", au travers desquels les acteurs concernés prennent des engagements concrets auprès du régulateur. Et les régies des médias ne sont pas les seules concernées : le 16 décembre 2021, Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique, réunissait les acteurs de la filière afin d'inventer la pub responsable de demain. Parmi les mesures évoquées : l'obligation pour les annonceurs réalisant plus de 100 000 euros d'investissements publicitaires par an de déclarer s'ils adhèrent ou non à un contrat climat, prenant ainsi des engagements auprès du régulateur. De quoi aider l'ensemble du secteur à formaliser ses promesses en matière de lutte contre le changement climatique. Parmi les axes de travail évoqués, la réduction de l'impact des campagnes et la mise en place des indicateurs permettant de la mesurer sont ceux qui ont donné lieu au plus d'actions concrètes, comme en témoigne la multitude de calculettes disponibles sur le marché.

1 campagne = 35 A/R Paris-New York ?

Quel est l'impact écologique d'une campagne de publicité numérique ? Pour le savoir - et le faire savoir -, le cabinet de conseil fifty-five a sorti la calculette. Résultat : 71 tonnes de gaz à effet de serre (CO2) sont émises par une campagne digitale classique, à base de publicité vidéo, complétée par du référencement payant sur les moteurs de recherche (SEA), des posts sponsorisés sur les réseaux sociaux (social paid) et un affichage en display ou display programmatique. Soit l'équivalent, pour une personne, de 35 allers-retours aériens Paris-New York... ou de l'empreinte carbone annuelle d'environ 7 Français, pour une seule campagne. Sidérant ? "Le numérique est responsable d'environ 3,5 % des émissions de CO2 mondiales, avec une croissance de 6 % par an. C'est plus que l'aviation civile ! Nous ne pouvons plus nous permettre de continuer sur cette tendance inquiétante, alors que le réchauffement climatique de la planète est à l'oeuvre", tranche Ludovic Moulard, Head of delivry management au sein de fifty-five et membre du Shift Project - think tank qui oeuvre en faveur d'une économie libérée de la contrainte carbone.

Dans cette étude publique de mesure de l'empreinte carbone des principaux canaux publicitaires numériques (à l'exclusion des canaux organiques et du CRM), sont prises en compte les émissions liées à la production créative - la régie et les déplacements, le tournage, la post-production, les bureaux - et les émissions carbone liées au dispositif publicitaire en tant que tel : la diffusion (en fonction du réseau et du data center) et le visionnage du contenu sur le numérique (en fonction du device), ainsi que le ciblage d'audiences (stockage de données et calcul de l'audience). Résultat : un tournage type représenterait 35 tonnes de CO2 "équivalent", à égalité avec la diffusion (36 tonnes). Le ciblage équivaut, pour sa part, à 100 kilos de CO2 émis.

1 campagne email = 14 A/R Paris-New York ?

Canal de contact apprécié des marketeurs, l'email marketing représenterait un volume d'envoi équivalent à quatorze allers-retours Paris-New York, chaque année, pour une équipe de 100 salariés (source : Validity Inc.). Le poids d'un e-mail est évalué à 0,17 gramme équivalent CO2, selon le spécialiste du marketing digital Sendinblue, qui a cherché à mesurer sa propre empreinte carbone. Signataire du Climate Act - collectif qui regroupe des entreprises engagées dans la réduction de leur impact environnemental -, Sendinblue a quantifié, avec Aktio, à 4 552 tonnes équivalent CO2 sur un an sa propre incidence. Un résultat qui prend en compte les émissions carbone directes, mais, également, les émissions indirectes comme les centres de stockage de données, les déplacements professionnels, les logiciels utilisés ou, encore, la nourriture et les boissons mises à disposition dans les bureaux... Des émissions dont le poids représente, selon Sendinblue, la moitié de l'impact d'un e-mail. Même constat chez la solution Kiliba, qui vise, via un ciblage plus précis des campagnes, et donc l'envoi de moins de messages pour un résultat équivalent (1000 clics), un poids de 0,24 gramme par email, contre 2 grammes par email dans le cadre d'une campagne non ciblée.

Combien d'arbres faut-il planter pour une campagne d'emailing ? C'est la question qu'ont dû se poser nombre d'annonceurs adeptes de la compensation carbone. Depuis 2020, Canada Goose mesure, et publie, chaque année l'empreinte carbone de ses émissions de gaz à effet de serre directes et indirectes de ses sièges sociaux, usines, magasins et transports. Pour sa dernière campagne "Live in the Open", la marque canadienne a également travaillé à réduire l'empreinte carbone du tournage de son film promotionnel. En partenariat avec l'agence de production nuevo, elle explique avoir réduit l'empreinte carbone de son tournage de 40 %, "un chiffre compensé par rapport à une agence de création classique". Comment ? Par la plantation de 100 arbres (25 tonnes de CO2 compensées, selon Canada Goose), la création de 17 m² de prairies de fleurs sauvages et d'habitats pour la faune sauvage, le don de 2000 livres sterling à des organismes de bienfaisance et de 80 repas chauds pour des refuges de sans-abri, le soutien à des entreprises locales gérées de manière éthique, "ce qui réduit l'impact de la chaîne d'approvisionnement", précise la marque, ou, encore, la compensation de 40 tonnes d'émissions de carbone dues aux vols internationaux.

Des efforts louables, et qui dépassent le seul spectre environnemental, mais qui ne suffisent plus. "Les promesses de compensation carbone ne sont pas une solution au problème, partage Pierre Harand, Partner de fifty-five. Planter des arbres, par exemple, pour compenser l'utilisation des énergies fossiles, n'est pas tenable alors même que l'on déforeste pour alimenter nos modes de vie. Il faut changer nos comportements". Pour Assaël Adary, il est ainsi désormais question de "renoncement", à savoir "à quoi une marque est-elle prête à renoncer pour avoir un impact environnemental plus faible ?". Un changement d'état d'esprit complexe, "d'autant que le coût de la compensation carbone, encore trop peu élevé, représente un chèque en blanc pour polluer", regrette le cofondateur du cabinet Occurrence.

Quelles solutions ?

Pour diminuer par deux son impact environnemental, sans compromettre la performance de ses publicités numériques, fifty-five propose donc des solutions plus "réalistes". Les marques sont invitées à privilégier les tournages "locaux" (pour limiter les trajets en avion et favoriser la location du matériel sur place), à avoir davantage recours à la 3D plutôt qu'à la prise de vue et, même, à éviter les tournages en leur préférant le recyclage de films et/ou de prises de vues existantes.

Deuxième série de conseils : alléger les rendus de la vidéo, le format publicitaire le plus "lourd". Il est ainsi préconisé de privilégier des vidéos plus courtes et de plus faibles résolutions pour en réduire le poids. Les marques doivent également repenser leur ciblage. fifty-five rappelle les bases : il convient de cibler les audiences les plus qualifiées, afin de réduire les impressions inutiles qui génèrent des émissions. Le cabinet propose dans cette optique un nouvel indicateur, le "gCO2PM", le coût carbone en g CO2 équivalent pour 1000 impressions (le jumeau du bien connu "CPM") pour comparer les canaux search, display, programmatique, vidéo et social.

Pour diminuer l'impact de la diffusion, l'idée pourra être d'utiliser davantage la connexion Wifi que le réseau mobile, qui est six fois plus émetteur de CO2. "Dans les plateformes de contenu comme YouTube, l'un des critères de ciblage est le Wifi. Passer la moitié de son ciblage en Wifi permet de diviser drastiquement sa facture carbone", affirme Pierre Harand. Enfin, dernière suggestion de fifty-five : la réduction du nombre de parties prenantes aux enchères programmatique - car plus il a d'intermédiaires et de concurrents, plus il y a de calculs d'enchères et donc d'émissions. Une fois n'est pas coutume : less is more.

Un état d'esprit d'autant plus important que se développent les usages numériques. Pour réduire les intermédiaires et accompagner le développement du "métavers", de nombreuses marques seront tentées de se tourner vers la blockchain et la VR, dont l'impact environnemental est certain : n'oublions pas que c'est la production des devices, des processeurs, des cartes graphiques ou encore des serveurs qui pèse le plus sur la nature. Par ailleurs, c'est le terrain d'engagement le plus accessible pour les marques : la plupart n'ont aucun passé à assumer en matière d'usages numériques ! Aucun risque d'être cancel, et toutes les bonnes raisons d'être dès à présent à la hauteur des enjeux.

 
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