Thibaud Hug de Larauze : "Back Market doit devenir le leader mondial du reconditionné"

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Thibaud Hug de Larauze : 'Back Market doit devenir le leader mondial du reconditionné'

En sept ans, le spécialiste français des produits électroniques reconditionnés est propulsé au rang de licorne française, dont la valorisation dépasse le milliard de dollars. Thibaud Hug de Larauze, cofondateur et P-dg, revient sur les enjeux clés de sa société et du secteur.

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Sept ans après sa création, Back Market est devenue la quatorzième licorne française. Après une levée de fonds de 276 millions d'euros en mai, quels changements pour votre entreprise?

Les levées fonds comme une entrée en Bourse restent des opérations financières. L'objectif principal est de continuer à développer l'entreprise à travers notre vision, consistant à étendre au maximum la durée de vie des produits tech. Le problème demeure colossal. Fondamentalement, en devenant une licorne, nous changeons de puissance. Nous allons accélérer notre développement à l'international. Cette industrie a besoin d'un leader mondial et Back Market peut porter ce leadership. Nous sommes aujourd'hui dans 15 pays et sur trois continents.

Pour réussir à démocratiser l'économie circulaire, nous devons apporter un niveau de qualité équivalent ou supérieur à la consommation de produits neufs.

Nous avons encore beaucoup d'investissements à faire dans les services pour les clients et pour nos reconditionneurs afin de réussir à offrir cette expérience à nos utilisateurs.

Comment s'est déroulé ce premier semestre ?

Nous sommes dans le prolongement de notre année 2020. La croissance reste extrêmement forte. Nous avons sorti de nouveaux services, notamment des assurances -en Europe et aux États-Unis- disponibles pour nos consommateurs afin d'offrir les mêmes protections que pour les produits neufs. Nous continuons à avancer dans le bon sens.

Quelles innovations avez-vous réalisées dans la sélection et le suivi des vendeurs?

Notre algorithme permet de choisir en temps réel la meilleure offre produit pour le client, en termes de qualité et de prix. Depuis mars, nous avons mis en production un nouvel algorithme -fruit de plusieurs années de travail- beaucoup plus puissant. Il nous permet de prédire le taux de pannes de certains appareils afin d'être plus intelligent dans la curation. Quand nous faisons le tri entre certains marchands sur une fiche produit, nous sommes beaucoup plus justes dans nos choix. Ce nouveau service, créé en début d'année, nous a permis de diviser par quatre le temps de réparation d'un produit. Auparavant, en cas de problème, il fallait une semaine pour le changer, le réparer ou le renvoyer; maintenant, cela prend deux jours. Une innovation majeure car le principal frein pour les consommateurs -dans l'achat des produits reconditionnés- reste la réparation. Notre rôle est de rendre la réparation la plus facile et rapide possible.

Vous êtes aujourd'hui le leader du marché du reconditionnement en France et en Europe, où en est le secteur?

Le secteur continue à bien se développer et de façon importante. La croissance oscille entre 10 et 15% chaque année sur les produits reconditionnés. Tandis que le secteur du neuf ne progresse plus, il a même tendance à décroître. Maintenant, c'est insuffisant car même si cela va dans le bon sens, 90% des produits tech achetés sont encore des articles neufs.

Via notre plateforme, nous devons faciliter la récupération de produits d'occasion auprès des particuliers et des professionnels. Mais aussi offrir tous les services qui permettent aux professionnels de se structurer et d'avoir des prestations de meilleure qualité pour développer leur activité à travers la plateforme. Cette dynamique est très positive. Nous avons besoin d'entrepreneurs dans l'économie circulaire. Les opportunités sont énormes.

Comment voyez-vous l'évolution de votre marché notamment sur les enjeux RSE?

Par essence, ce marché est très orienté sur les enjeux environnementaux: chaque produit reconditionné vendu est un produit neuf en moins. Néanmoins, il ne faut pas se tromper, la production de produits tech neufs demeure un véritable problème. Elle représente 5% des émissions de carbone mondiales.

Chaque année, 2 millions de tonnes de CO2 sont émises via les produits électroniques neufs.

Tous les acteurs de ce marché favorisant leur diminution, l'empreinte du secteur est extrêmement bonne par essence. Cependant, nous devons continuer à l'améliorer.

Et concernant votre propre empreinte carbone et celle de vos vendeurs?

Depuis janvier, nous avons signé un partenariat avec EcoVadis pour auditer l'ensemble de nos vendeurs. La société leur donnera un score global RSE. D'ici la fin de l'année, nous le publierons sur Back Market, en devenant ainsi la première marketplace dans le monde à publier le score d'écoresponsabilité de chacun de nos vendeurs. Il va favoriser la compétition au sein de l'écosystème de vendeurs et professionnels. Quant à Back Market, notre ambition est d'obtenir le label B-Corp [octroyé aux entreprises répondant à des exigences sociétales et environnementales, de gouvernance et de transparence envers le public, NDLR] d'ici début 2022. Il matérialisera notre engagement RSE. Nous avons également publié en ligne notre roadmap.

Parmi les acteurs du marché, comment continuez-vous à vous démarquer de vos concurrents?

Aujourd'hui, nos concurrents sont des places de marché comme Amazon ou Walmart. Ils vendent aussi bien des produits tech neufs que reconditionnés. Nous nous concentrons sur l'économie circulaire. Cela nous permet de proposer des innovations sur la réparation, la reprise des anciens produits qui sont vraiment propres à la vision de Back Market, alors qu'une entreprise comme Amazon a un focus beaucoup plus large autour de la consommation de produits et donc d'articles neufs. Des entreprises comme Smaart, Cordon Electronics, Anovo... sont nos partenaires. Elles utilisent notre plateforme pour distribuer leurs produits reconditionnés. Notre place de marché agrège 1300 professionnels.

Que représente l'international pour Back Market? Quelles sont les prochaines étapes de développement?

Nous avons lancé le Japon en janvier dernier et nous avons une excellente réceptivité du marché japonais. Nous sommes également en Grèce depuis mai et au Canada cet été. Nous avons massivement investi dans le développement d'un moteur tech afin de nous ouvrir à de nouvelles destinations et étendre notre plateforme le plus largement possible. Il y a douze mois, nous étions présents dans six?pays. Aujourd'hui, nous sommes implantés dans 15?États et, à la fin de l'année, nous le serons dans 19, à travers trois régions, dont l'Asie, l'Europe et les États-Unis.

L'international représentera 50% de notre chiffre d'affaires d'ici la fin de l'année.

Nous avons construit un réseau de reconditionneurs européens en gérant le service client, tout en proposant de nouveaux services et en les aidant sur la partie logistique et le financement.

Vous vous êtes ouverts à de nouvelles catégories (électroménager, télévision, consoles, casques, enceintes...), est-ce concluant?

Nous avons procédé à un développement majeur concernant l'ouverture du "buy back" (reprise de produits). Le problème de ces catégories de produits réside dans l'absence de sources pour les reconditionneurs lors du rachat de ces articles aux particuliers. Nous avons donc créé un service de revente. Le consommateur indique simplement le produit et son état. Nous lui proposons instantanément un bon de retour pour envoyer le produit vers le professionnel (qui a la meilleure offre). Celui-ci va ensuite le reconditionner puis le revendre. C'est un peu différent de ce qui se passe pour les téléphones, ordinateurs et tablettes, où le marché est déjà structuré en termes d'approvisionnement et de reprise des anciens produits des particuliers vers les professionnels. Pour ces nouvelles catégories, nous avons dû aller un cran plus loin et créer ces canaux de récupération de produits. Nous avons lancé ce service en novembre?2020 pour les consoles de jeux et, maintenant, nous le développons pour les casques audio. Puis, nous continuerons sur l'électroménager tout au long de l'année.

Le gouvernement a manifesté son intention d'instaurer une redevance pour copie privée sur les produits reconditionnés (une taxe de 7,20 euros par produit), quelle est la situation aujourd'hui ?

Cette redevance existe depuis 35 ans, dans une fraction du prix, quand un consommateur achète un support d'enregistrement neuf, y compris un smartphone ou une tablette. Le gouvernement a décidé de l'appliquer aux produits reconditionnés. Cela n'a absolument aucun sens puisque cette redevance a déjà été collectée sur la vente du produit neuf. Un même produit peut donc être taxé plusieurs fois dès qu'il est revendu... Le sujet serait plutôt d'aider l'économie circulaire et diminuer l'empreinte carbone en favorisant la circularité, le reconditionnement et la réparation. Nous allons donc continuer à nous battre en tant que plateforme spécialisée dans la vente de produits reconditionnés pour nos reconditionneurs français (55% du volume d'affaires réalisés en France). Avec une telle redevance, ces derniers seront directement impactés. Ils perdront même toute compétitivité économique par rapport aux vendeurs étrangers. Nous allons nous retrouver dans un modèle aberrant où les reconditionneurs français vendront hors de France.

(NDLR : l'interview a été réalisée avant l'adoption par le Sénat le 2 novembre 2021, soit l'extension de la redevance copie privée à tous les produits d'occasion, qu'ils soient reconditionnés ou non).

Vous êtes une entreprise en hypercroissance, comment gérez-vous cette période souvent délicate?

On fait ce qu'on peut (rires). Il faut recruter des gens meilleurs que soi, des profils expérimentés pour pouvoir justement soutenir cette croissance. C'est la règle numéro?1. Il?faut aussi faire preuve d'humilité et rester très concentré sur la vision et la culture d'entreprise. C'est grâce à cet attachement que nos salariés restent très engagés.

Qu'est-ce qui différencie l'e-commerce français des autres pays où vous êtes présents?

L'e-commerce reste plus mature en Allemagne, au Royaume-Uni et aux États-Unis qu'en France ainsi qu'en termes de valeur de marchandises transitant en ligne. Les différences les plus importantes concernent les modes de paiement. En France, 80% d'entre eux sont effectués via une carte de crédit. Là où, en Allemagne, cela ne représente que 12%. Le secteur de la logistique (expressistes notamment) est également plus fragmenté sur le marché français.

Quels sont vos enjeux du moment et vos prochains défis?

Nous recrutons beaucoup d'ingénieurs, de développeurs pour révolutionner notre secteur. Notre deuxième enjeu concerne la récupération de produits d'occasion. Il est important que les consommateurs nous identifient comme le canal idéal pour revendre leurs produits d'occasion. Nous développons de nombreux services à ce sujet. Enfin, notre dernière bataille réside dans la qualité de l'expérience client. On veut vraiment qu'il n'y ait plus aucune raison d'acheter autre chose que du conditionné quand le produit est disponible.

Le chef de l'État, Emmanuel Macron, promeut la "start-up nation", les mesures en faveur de l'écosystème suivent-elles?

L'écosystème financier autour des start-up françaises suit depuis quelques années. Nous avons eu de nombreuses levées de fonds importantes en France. Cela nous permet de passer à l'échelle supérieure plus vite qu'avant et de soutenir ce statut de scale-up. Maintenant, il va falloir compléter l'offre financière avec un marché boursier compétitif par rapport aux États-Unis et à l'Asie. Il faut également trouver un moyen de mieux faire travailler les acteurs du numérique avec le gouvernement. Il y a de la bonne volonté mais, concrètement, peu de choses sont faites.

Avez-vous une offre destinée au B to B?

Nous travaillons dessus pour proposer une offre en 2022. C'est une nouvelle approche, nous devons auparavant adapter notre interface et notre service client. Nous recevons beaucoup de demandes d'entreprises (une centaine par semaine) plus souvent pour des raisons environnementales que de prix (contrairement aux particuliers). Le marché de la seconde main pour les entreprises est un marché énorme mais pas encore adressé de manière scalable.

Son parcours

Né en 1988, Thibaud Hug de Larauze est diplômé de l'IESEG. Il commence sa carrière chez l'éditeur Neteven en tant qu'Account Manager. Il s'occupe de l'acquisition de nouveaux clients dans le secteur du textile et de la high-tech et se spécialise dans le développement de la branche des produits reconditionnés. Puis, il intègre Commerce Solution, spécialisée dans la distribution sur les sites d'e-commerce en Europe, en tant que responsable commercial.

2014: Il cofonde Back Market avec Vianney Vaute, Chief Creative Officer et Quentin Le Brouster, CTO. En 2016, la société se développe en Allemagne, en Espagne, puis en Italie et en Belgique (50?catégories de produits vendus). En 2018, Thibaud et son équipe étendent Back Market aux États-Unis (100?catégories de produits vendus). En 2020, l'entreprise se développe au Royaume-Uni et en Autriche. Back Market compte plus de 1300 reconditionneurs partenaires.

Mai 2021: Back Market lève 276?millions d'euros et rejoint le club des licornes françaises.



 
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