Boris Saragaglia (Spartoo) : "Je ne crois pas au modèle de la location"
Vente de produits de seconde main, promotion du Made in Europe ou encore collecte de paires au profit de l'Afrique... Boris Saragaglia, PDG de Spartoo, nous explique comment il compte faire de l'enseigne spécialisée dans la vente de chaussures un acteur de taille de la mode responsable.
Je m'abonneEkopo : Spartoo se présente comme une pointure de l'engagement. Comment se décline cette stratégie ?
Boris Saragaglia : Elle prend de nombreuses formes ! Depuis plus de dix ans, nous collaborons avec de nombreux organismes. Il est difficile de choisir les causes tant il y a de sujets et de sollicitations. Nous avons fait le choix de privilégier les actions en faveur de la santé et de la scolarité dans les pays en difficulté, notamment en Afrique. Avec l'AMREF, nous formons par exemple des sages-femmes afin de lutter contre la mortalité infantile.
Plus proche de notre activité, nous reversons 1 % du produit des ventes de notre marque Easy Peasy à l'association IFAW, qui oeuvre pour la préservation de la biodiversité. Nous menons également une action pour favoriser l'accès à l'éducation dans les pays sous-développés. Avec « la paire solidaire », nous collectons et trions des chaussures que nous envoyons dans des pays où il y a une forte ruralité, ou encore des catastrophes naturelles, et où l'accès à la scolarité est difficile, du fait notamment des trajets à pied.
Enfin, nous oeuvrons aussi en France, en finançant des équipements hospitaliers ou en menant des actions en faveur de l'égalité entre les hommes et les femmes. Notre marque JB Martin s'est récemment associée avec l'association Femmes Solidaires.
Pouvez-vous nous en dire plus sur la collecte de chaussures d'occasion, que vous encouragez en offrant 20 euros en bon d'achat ? On sait que c'est un sujet brûlant du secteur de la mode en ce moment...
En effet, il y a un vrai sujet en matière de seconde main, mais attention, nous ne vendons pas les chaussures collectées ! Depuis plus de dix ans, nous récupérons et trions à nos frais des paires usagées, de tous les types, et auprès de tous les consommateurs. Nous avons réalisé une dizaine de collectes, pour un total de 200 000 paires récupérées environ. La moitié est réutilisable. Et comme je le disais précédemment, nous envoyons ces paires dans des pays en difficultés afin de favoriser l'accès à l'éducation, par exemple, pour des enfants qui n'ont pas de quoi se chausser.
Mais il ne faut pas confondre avec notre offre de seconde main New Life, que nous avons lancée il y a deux ans, et qui permet à nos clients de vendre et d'acheter leurs chaussures d'occasion sur une plateforme dédiée...
Vous proposez de nombreux services aux marques qui commercialisent leurs produits sur votre plateforme. Avez-vous pensé mettre votre expertise de la collecte au service de vos partenaires ?
Nous consacrons déjà suffisamment de ressources pour nos actions de collecte et de tri actuelles, je n'ai pas envie de mettre cela en place pour les autres. Je vois mal des bennes de récupération Spartoo dans les magasins de nos partenaires, cela serait plus de l'affichage qu'autre chose...
Plus globalement, quel regard portez-vous sur ces nouveaux business models ?
Il faut recycler au maximum, ce que notre industrie fait déjà bien par rapport aux restes des acteurs du textile par exemple, où pendant longtemps on préférait mettre à la benne que valoriser les stocks.
A contrario, l'occasion est un modèle qui est plus difficile à mettre en place pour les chaussures, mais nous sommes assez satisfaits de notre offre, qui nous permet de proposer des modèles que nous ne vendons pas en première main, comme des produits des marques d'Inditex, ou encore des marques de luxe. C'est une offre complémentaire, qui nous permet de garder des clients. Mais nous n'allons pas gagner des parts de marché avec, d'autant qu'il faut beaucoup investir pour être compétitif.
Enfin, je ne crois pas au modèle de la location. Je trouve que c'est un moyen déguisé de profiter de la baisse du pouvoir d'achat, sous couvert d'agir pour l'environnement. C'est une forme de crédit ou de paiement fractionné qui au finale se révèle moins rentable que l'achat pour le consommateur final.
Quelles sont les autres actions menées par Spartoo pour réduire l'impact de son activité ?
Nous nous engageons à vendre 20 % de produits éco-conçus, et nous proposons 2000 références Made in France. Nous avons toujours fait la promotion de cette approche en circuit court, y compris au moment de développer nos marques propres ou de prendre des participations, comme récemment dans la marque française SAAJ, qui s'engage à concevoir et à fabriquer plus de 80 % de ses produits dans son entrepôt en France.
Il faut faire de la qualité pour justifier le prix, mais aussi savoir prendre des engagements. Dans notre cas, nous ne cherchons pas à faire du profit à tout prix, même s'il est difficile de faire du Made in France quand il s'agit de chaussures. Il faudrait des incitations sur la TVA ou sur les charges patronales afin de rendre ces offres plus compétitives et de préserver ces métiers manuels.
Or aujourd'hui, le coût de la main-d'oeuvre est en hausse, avec un SMIC en augmentation de plus de 13 % ces deux dernières années... Je pense que cela ne va pas dans le sens de la réindustrialisation, au contraire ! Selon moi, on ne peut pas miser que sur des emplois à forte valeur ajoutée, ce serait nier toute la complexité du marché de l'emploi et même de la nature humaine.
L'inclusion en matière d'emploi est aussi un axe de votre stratégie RSE ?
En effet, nous cherchons depuis dix ans à favoriser au maximum l'emploi des personnes en situation de handicap, tant physique que mental. Nous avons aménagé les horaires et les postes de travail, mais aussi la nature des fonctions, que ce soit au sein de notre entrepôt, de nos bureaux d'étude ou encore du siège.
Il faut réussir à trouver un équilibre entre employabilité de ces personnes et utilité pour l'entreprise. Ce n'est pas toujours facile et il faut bien souvent être assez sélectif, malgré notre sensibilité et la grande motivation qu'affichent toujours ces travailleurs, car si cela ne fonctionne pas, c'est une grande désillusion pour ces derniers.