Les monnaies locales percent doucement (mais sûrement) en France

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Les monnaies locales percent doucement (mais sûrement) en France

Au Pays Basque, en Picardie ou dans la Creuse. Le succès des monnaies locales permet de relocaliser la consommation et de retisser du lie...

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Au Pays Basque, en Picardie ou dans la Creuse. Le succès des monnaies locales permet de relocaliser la consommation et de retisser du lien social au sein d'une communauté.

L'eusko au Pays-Basque, l'Agnel dans la région de Rouen ou encore la Mige du côté de la Creuse. Le territoire français a vu émerger de nombreuses initiatives en matière de monnaies locales au cours de ces dernières années. S'il est difficile de connaître leur nombre exact en l'absence de registre officiel, le Conseil économique, social et environnemental (Cese) en dénombrait une trentaine dans son rapport de 2015 sur les enjeux relatifs aux nouvelles monnaies. Le compteur n'a cessé de grimper depuis cette date et avoisine désormais la soixantaine. Ce sont d'ailleurs déjà 14 % des Français qui utilisent une monnaie locale selon un sondage réalisé en février 2017 par OpinionWay pour le compte du think tank "Monnaies en transition".

Rapporteur de l'avis du Cese, Pierre-Antoine Gailly, voit d'abord dans cet engouement pour les monnaies locales "l'envie d'une frange croissante de la population de retisser du lien social et renouer avec la vie en communauté, en dynamisant le commerce de proximité". Précisément un des arguments brandis par Dante Edme-Sanjurjo, co-président de l'association Euskal Moneta, qui a introduit l'eusko dans la région du Pays Basque Nord, en juillet 2014. "Les gens vivaient jusque-là, côte à côte, sans pour autant se connaître", rappelle-t-il. C'est cette muraille invisible que l'Eusko a voulu casser en réorientant une partie de la consommation des habitants du Pays Basque vers les petits commerces, les agriculteurs du coin ou les exposants des marchés.

Favoriser les circuits courts

Toute activité est bienvenue au sein du réseau Eusko dès lors qu'elle est exercée de façon "responsable". Les acteurs de la grande distribution, les entreprises très polluantes ou les enseignes issues de chaînes internationales sont d'office exclus. Trois objectifs sont gravés dans la charte : favoriser les circuits courts (et donc ouvrer en faveur de l'écologie), redynamiser la langue basque en pratiquant l'affichage bilingue dans les vitrines des commerces partenaires et appuyer les initiatives locales. C'est dans cette perspective qu'est née la politique du "3% asso" qui permet à chaque usage de parrainer une entreprise ou association. De façon à ce que dès qu'une structure réunit une trentaine de parrainages, elle reçoit 3 % des sommes converties par ses parrains tous les 6 mois.

Avec déjà près de 3 000 particuliers qui l'utilisent et 660 entreprises, commerces et associations partenaires, l'Eusko s'est hissé au premier rang des monnaies locales françaises. Ce sont ainsi près de 580 000 euskos qui circulent de la main à la main. Une performance qui le place largement au-dessus de la moyenne à en croire les chiffres du think tank "Monnaies en transition". Chaque monnaie compte en moyenne, selon ce dernier, 450 utilisateurs particuliers et 90 professionnels pour 26 000 euros en circulation. "Preuve que les monnaies qui ont atteint une masse significative en termes de transactions et de montants sont très rares", note Pierre-Antoine Gailly.

Plus de Coopek

Car l'aventure peut parfois s'arrêter de manière soudaine, à l'image de la déconvenue essuyée par la monnaie tarnaise, le Coopek, qui a dû arrêter ses activités fin avril dernier. Avec 400 adhérents réunis en l'espace de 6 mois et 50 000 Coopek mis en circulation, le succès étaient pourtant au rendez-vous. Mais la coopérative n'a pas réussi à réunir suffisamment de fonds pour assurer le montage financier nécessaire à la poursuite de l'activité.

Il faut dire que les projets essaiment le plus souvent dans leur coin, de manière non coordonnée et sont portés par des associations bénévoles locales. Mais ils ont tous une constante : la monnaie nouvellement créée est toujours adossée à l'euro. Une obligation pour être reconnue par la loi française comme moyen de paiement. Et pour éviter de devoir sortir la calculatrice à chaque transaction, l'équation est simplifiée : un euro = un eusko, une Mige ou un agnel.

Doper la consommation

Autre point commun : les monnaies locales sont par nature des monnaies d'échange, non pas de crédit. L'épargne y est contre intuitive. "Un particulier ne peut mettre ses monnaies locales en banque", rappelle Jean-François Donzet, un des instigateurs du projet Mige. Tout est fait pour les remettre dans le circuit économique et ainsi doper la consommation. Les entreprises qui reconvertissent leurs euskos en euros au lieu de les réutiliser doivent, par exemple, s'acquitter d'une commission de 5%. "Les monnaies locales sont le plus souvent fondantes, c'est-à-dire que leur valeur se déprécie avec le temps", précise au passage Pierre-Antoine Gailly.

Et parce qu'elles s'inscrivent dans une démarche participative, les monnaies locales font le plus souvent l'objet de disposition prévoyant la participation des usagers au mode de gouvernance. Ces derniers peuvent donc faire part de leurs besoins et les mettre en ouvre. "Les 170 adhérents que nous avons réunis en l'espace d'un mois vont pouvoir faire se présenter au conseil d'administration de Pomoloc. La Mige, c'est leur enfant à eux !", s'enthousiasme Jean-François Donzet.

Un crowdsourcing qui infuse ici jusque dans la création des billets. Ce sont les élèves d'une école de design qui ont été mis à contribution au moment d'imaginer ceux de la Mige. Et pour choisir l'illustration qui allait orner les 8 000 coupures qui ont dans un premier temps été imprimées, les internautes étaient amenés à voter. Mise en circulation mi-mai, la monnaie fanion de la Creuse est désormais disponible dans trois compteurs de change du département et devrait faire l'objet d'une réimpression avant la fin de l'année.

Monnaie locale 2.0

L'association Euskal Moneta est, elle, déjà passé au niveau supérieur en lançant une version numérique de l'eusko fin mars. Une première en France. Sur Internet, chacun peut bénéficier d'un compte qui peut être prélevé ou servir à virer de l'argent vers d'autres comptes en euskos. Une carte bancaire est également utilisable dans les commerces "euskocompatibles".

Un passage au numérique qui, a en croire les précédents du Chiemgauer en Allemagne et du Bristol Pound en Angleterre (soit les deux monnaies locales les plus importantes d'Europe), devrait s'accompagner d'une stagnation de la masse de billets en circulation et d'une augmentation progressive de la masse monétaire en numérique jusqu'à ce qu'elle devienne majoritaire. "Nous n'en sommes qu'au début du processus et c'est donc difficile de dire dans quelle proportion nous allons être en phase avec cette tendance", précise Dante Edme-Sanjurjo.

Bernard Lietaer, économie et ardent défenseur des monnaies locales, en est convaincu : "le monopole des monnaies conventionnelles est mort." Reste que la France a encore un peu de chemin à parcourir avant d'être au niveau de ses voisins allemands et anglais. Le maire de la ville de Bristol se paie déjà en monnaie locale et les particuliers peuvent eux l'utiliser pour régler leurs taxes. En France, il faudra sans doute attendre un petit moment avant de franchir ce cap..

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