[Interview] Emmanuelle Riboud : cheffe engagée

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[Interview] Emmanuelle Riboud : cheffe engagée

Elle a fondé en 2016 Ressources, une boutique-laboratoire parisienne dédiée à la réappropriation du repas quotidien. Rencontre avec une cheffe engagée, qui intègre les préoccupations sociales, environnementales et économiques dans son travail.

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Emmanuelle Riboud est juriste de formation. Passionnée par la cuisine depuis l'enfance, elle a décidé en 1997 de passer un CAP de cuisine et poursuit une carrière de cheffe de cuisine. Elle est notamment cheffe de deux restaurants en Vendée puis la carte Greenpeace de sa tante écolo la sensibilise un peu plus pour la préservation de la Nature. Très concernée par la crise climatique, elle s'implique alors auprès de ETHIC OCEAN et du Label ECOTABLE dont elle est la marraine. Depuis cinq ans, elle dirige Ressources, sa boutique-laboratoire dédiée à la réappropriation du repas quotidien située dans le seizième arrondissement de Paris. Rencontre avec une cheffe ancrée et engagée, qui intègre les préoccupations sociales, environnementales et économiques dans son travail, en cassant les codes, le tout avec une certaine poésie.

EKOPO : Quelle est votre vision de notre façon de nous nourrir en France ? Et que proposez-vous en opposition ?

Emmanuelle Riboud : Un repas quotidien nous rend malade ! Nous avons perdu en qualité, nous ne mâchons plus assez, nous n'attendons plus assez. C'est la fin du capitalisme et l'ère de la transition alimentaire. Or les cuisiniers sont les garants de la transition alimentaire! Nous allons faire l'expérience de la raréfaction. J'ai eu envie de faire partie d'une cause plus grande, de développer une cuisine avec le monde paysan. Ressources est un laboratoire sur rue qui déconstruit et désapprend nos façons de manger. On est sorti de l'assiette pour proposer des bentos en papier cartonné. La viande n'est plus au centre. Les prix sont accessibles car j'aime l'idée de nourrir tout le monde, sans élitisme. C'est un module de cuisine en lien avec un bassin de vie et de quartier. Et puis la cuisine est plus créative dans la rue et c'est l'équipe qui vend directement aux clients. J'ai aussi eu envie de travailler avec une école locale (Paris 16) sur le rapport nourricier donc nous cuisinons aussi pour 100 enfants chaque jour. Je travaille aussi avec l'association Terre de Liens pour penser l'approvisionnement local en Ile-de-France.


EKOPO : Pouvez-vous nous donner quelques exemples concrets de plats qui vous différencient radicalement de la traditionnelle restauration Bio ? Et nous expliquer pourquoi ?

Emmanuelle Riboud : Notre travail à RESSOURCES se distingue d'une classique cuisine Bio car nous ne nous contentons pas d'ingrédients Bio mais nous revisitons notre métier de cuisinier à l'aune de LA BIO. Nous concevons des recettes exclusivement avec des produits de saison, de la pêche durable, des produits bruts, pour concevoir une cuisine entièrement faite par nous, sans conservateurs, sans perte et gaspillage car chaque recette est pensée dans sa continuité ou est de fruits de la gestion d'un reste. Enfin notre cuisine est végétalisée pour avoir un impact carbone le plus faible et nourricière car c'est le premier rôle d'un repas.

Par exemple la boulette de pain à l'italienne remplace les boulettes de viande et recycle la Focaccia ou le crumble réalisé avec des brisures de chutes de pâte brisée. Autres exemples : les pestos sont réalisés avec toutes les herbes aromatiques pour ne pas les jeter quand elles sont fanées. Et les bouillon de poule sont réalisés avec les carcasses de poulet car nous ne travaillons que des poulets entiers.

Nous avons démarré à la rentrée une collaboration avec BEESK, un distributeur de produits en fin de vie ou ayant des problèmes de calibre pour ainsi donner une valeur à des aliments qui sinon vont à la poubelle.


EKOPO : Comment se traduit la suppression du trio "entrée, plat et dessert " au bénéfice d'un seul plat ? En quoi est-ce plus respectueux du vivant ?

Emmanuelle Riboud : Se départir du sacrosaint ENTRÉE PLAT ET DESSERT nous a permis de déplacer le focus des clients sur la protéine animale et ainsi développer un cahier de recettes végétalisées où la viande et les produits de la mer sont abordés comme des condiments, où les céréales, les légumineuses et les légumes occupent une place prépondérante et où la composition de l'assiette passe par plusieurs recettes crues, cuites, déployant toute la gamme aromatique du sucre, sel, acidité, amertume et de umami pour concevoir des repas équilibrés sain gourmands et eco responsable.

Pour cela je me suis inspirée du Bento Japonais tant du point de vue de sa gastronomie, de ses principes que de son contenant. Nous avons même conçu nos propres BENTOs en carton compostables pour présenter nos repas éco responsables.

EKOPO : Pourquoi avoir opté pour la street food plutôt que la restauration classique bio et écoresponsable ?

Emmanuelle Riboud : La street food n'est pas plus respectueuse de l'écologie qu'un restaurant classique, seulement j'ai choisi le Take Away (ndlr: plats à emporter) pour être en contact direct avec les urbains et me dégager du service à table et du décorum de la salle de restaurant qui sont tellement imbibés de code et de symboles qu'il me paraissait difficile d'y déployer une nouvelle cuisine sans être taxé de cuisine soit vegan, soit végétarienne tout ce que je ne suis pas.

EKOPO : Pouvez-vous nous en dire plus sur "l'émulsion qui chasse le carbone" ?

Emmanuelle Riboud : La végétalisation du risotto qui est réalisé à base d'orge qui consomme moins d'eau que le riz lors de sa culture. Sa crème est réalisée avec de la crème d'amande et de la levure maltée pour un impact carbone très faible contrairement à l'emploi de produits laitiers, le fromage est alors proposé comme un condiment en l'occurrence un copeau de pecorino qui apportera une note poivrée. La levure maltée apporte la touche fromagère et la liaison est assurée par de agar agar, une algue. Dans cette recette nous privilégions un lait d'amande plutôt qu'un lait d'épeautre ou d'orge de riz ou d'orge car elle est réalisée à partir de plantes pérennes comme tous les fruits des vergers, cette production agricole épuise peu les sols contrairement aux plantes annuelles comme les céréales.

EKOPO : De quelle façon votre cuisine lutte-t-elle contre les déchets ? En les intégrant dans les préparations dès la conception des recettes ? En les recyclant ?

Emmanuelle Riboud : Une cuisine sans perte ni déchet ! Tout commence avec les produits bruts dont nous cherchons à utiliser la totalité. Le vert du poireau dans les falafels, les feuilles de chou fleurs dans les okonomiyaki, les pluches et les carcasses dans les bouillons... Et puis les légumes légèrement fanés ou abimés sont cuisinés sous toutes les coutures possibles pour ne rien en perdre. Les bas ventres des poissons sont transformés en accras ou brandade.

Il y a des recettes concoctées avec les restes : de pain pour de la chapelure, le résidu issu de notre huile parfumée au curcuma et citron confit dont nous faisons une tapenade, les brisures de pâte sucrée les entames des cakes qui font de délicieux crumble, les restes de rôtis tranché du jour qui se transforment en boulette au persil. Gratins, croquettes, daubes, compotées, crumbles... Autant de recettes qui permettent de ne rien jeter.

Cela implique que notre carte change constamment sans pouvoir préciser plus ce qui sera disponible chez RESSOURCES autre que des repas cuisinés, sains, gourmands et éco responsables.

Puis c'est le tri sélectif et le tri de nos biodéchets qui sont collectés par LES ALCHIMISTES qui les transforment en compost.

Enfin c'est aussi développer des collaborations avec des distributeurs engagés comme BEEZE pour contribuer à absorber le gaspillage non pas dans notre cuisine mais en amont, lors des récoltes, des découpes ou dû à des DLC proches.


EKOPO : Quelle collaboration avez-vous mis en place avec le monde paysan ?

Emmanuelle Riboud : Je suis en collaboration avec deux groupements paysans par choix politique. Il me semble que c'est important de travailler des groupements qui ont développé une organisation mutualisée et des stratégies sur le temps long. Le groupement COOPERATIVE BIO Ile de France et le groupement BIO LOIRE OCEAN.

Ainsi, nous soutenons un monde paysan structuré et notre approche n'est pas que qualitative. Nous y trouvons des produits locaux, bio, de saison. Avec le groupement BIO LOIRE OCEAN, nous avons des retours sur la vie dans les champs, les conditions de travail, les difficultés rencontrées autant de témoignages que nous relayons à nos clients et qui constitue un vrai fils d'ariane avec eux.




 
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